WISHBONE ASH - 12-05-2023
Big Bang Café Hérouville St Clair (14)

Après deux bonnes heures de route sous la pluie et une sorte de slalom dans le labyrinthe d’une banlieue de Caen (comment faire sans GPS ?), un parking accueille la voiture. Quelques questions à des autochtones confirment qu’il s’agit bien de celui du Big Band Café, là bas, bien caché tout au fond : impossible de distinguer l’endroit de la rue ! Dans la file d’attente pour rentrer, toujours sous la pluie, quelques discussions s’engagent avec des amateurs très conviviaux. Pour le moment, la soirée se dessine plutôt sous le signe de la bonne humeur. Nous poireautons en toute humidité, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Les portes finissent par s’ouvrir avec un bon quart d’heure de retard sur ce qui est indiqué sur les billets. C’est parti !

Une fois à l’intérieur, nous ne pouvons qu’apprécier l’endroit avec un premier volume plus étroit où est installé le bar, avant la salle de concert proprement dite. Au fond, la scène occupe quasiment toute la largeur, on se sent tout de suite à l’aise, les habitués doivent se sentir bien ici. Le matériel est déjà disposé, guitares comprises. On peut remarquer trois interprétations de Flying V posées les unes à côté des autres devant la batterie : Andy occupera la place centrale sur la scène. Une Telecaster est posée devant. « Underground » ? Une lap-steel est posée sur la gauche de la scène quand on la regarde : ce sera pour Mark Abrahams, l’autre guitariste, et logiquement Bob Skeat, bassiste du groupe depuis 1997, déjà un bon quart de siècle, s’installera à l’opposé sur le côté droit.
Après une nouvelle petite attente, avec un fond sonore plutôt sympathique et des conversations agréables, les lumières s’éteignent. Une silhouette féminine se dessine sur la scène, et va s’emparer de la Telecaster. Pas d’« Underground » ce soir ! Les lumières viennent illuminer la jeune femme qui commence à chanter : nous aurons donc une première partie. Il s’agit de Liev, une jeune artiste qui a le courage de venir partager son univers pop mais assez sombre, seule face au public avec sa Telecaster et sa voix d’alto, parfois doublée à la tierce par une pédale. L’exercice n’est pas simple, on pressent par instants ce que ses compositions pourraient donner avec ne serait-ce que l’apport d’une section rythmique. Ses efforts sont plutôt bien accueillis par un public bienveillant et attentif. La jeune femme repart avec un encourageant succès d’estime, mais il est clair que le public attend autre chose.

Cette attente ne durera pas bien longtemps, et le groupe tant espéré rentre sur scène sous un tonnerre d’applaudissements pour un épisode normand de sa tournée-hommage pour le cinquantenaire (!) de son premier album en public, « Live Dates », sorti en 1973, juste après « Wishbone Four ».
« Bonjour ! » : Andy Powell fait l’effort de placer quelques mots de français. Il s’y essaiera tout au long de la soirée. Le groupe démarre sur l’instrumental "In the Skin" qui fut le « single » de l’album « Nouveau Calls » en 1987. Le titre justifie la présence de la lap-steel dont Mark Abrahams s’empare avec assurance quand le morceau l’exige, en alternance avec sa splendide PRS. La version reste assez fidèle à l’original et on sent déjà que le groupe a la pêche ce soir. Andy s’est emparé d’une superbe guitare de luthier, une Case APJV carved top de 2014, de fabrication anglaise, dont les courbes viennent adoucir la forme générale inspirée par ses célèbres Flying V. Les amplis Orange Rockerverb 100 MKIII des guitaristes crachent avec vigueur mais sans abus : le niveau sonore reste très raisonnable. Tout est orienté vers le plaisir du public. Après ce brillant début, le groupe enchaîne sur deux compositions plus récentes, issues de leur dernier album, « Coat of Arms » (2020) : « We Stand As One », très bon titre de scène, fidèle à l’esprit du groupe, avec son passage hors tempo façon mandoline où s’exprime la PRS de Mark Abrahams, puis « Coat of Arms », le titre qui a donné son nom à l’album, notablement plus pêchu sur scène en raison de la prédominance dynamique du riff en boucle de Mark Abrahams, parfois doublé par Andy Powell, qui emporte la composition vers un univers hypnotique avant, après environ quatre minutes, de connaître une évolution vers d’autres couleurs sonores, avec plusieurs changements de tempo. Cette composition complexe de presque huit minutes flirte avec le rock progressif et offre un panorama varié de ce que peuvent proposer les musiciens : impressionnant ! Du grand art. Ce groupe n’a rien perdu de son inventivité et il le démontre y compris ce soir sur la scène du Big Band Café.

Une brève pause pour souffler, Mark Abrahams remet la lap-steeel sur le devant de la scène avant de s’apercevoir qu’il a zappé une modification de dernière minute de la set-liste. Il range précipitamment l’instrument sur le côté et récupère fissa sa PRS pendant qu’Andy demande si le public est prêt à entendre des vieux titres. Devant la clameur enthousiaste, aucun doute n’est possible ! Les premières notes magiques résonnent dans la salle : le Roi va venir, accompagné par les applaudissements et acclamations nourris d’une assemblée en transe. Version impeccable, le Roi est venu et son jugement emporte haut la main une adhésion générale. Tout de suite ça enchaîne sur le début paisible de « Warrior », le calme après la bataille. Ceux qui connaissent le morceau savent que ça ne dure pas… Le titre magistralement interprété ouvre la porte vers le troisième morceau de la tétralogie magique d’« Argus » : le volume sonore de la petite phrase obsédante de « Throw Down The Sword » gonfle progressivement sous les doigts d’Andy, Mark Abrahams vient à la rescousse à la tierce, puis monte à l’octave de sa partie et la mélodie peut se déployer, chantée par Andy, soutenu au deuxième couplet par Bob avant l’assaut final : le majestueux solo d’Andy, ici réinterprété. Pas de révolution, mais des sinuosités différentes toujours mélodiques entre deux points incontournables, avec en exergue quelques notes en tapping. Un grand moment acclamé par la salle ! Andy demande au public de participer au prochain titre, en assurant que ce sera facile. Bob Skeat se met en évidence, les guitaristes encouragent l’assemblée tout acquise et commencent à la guider pour les chœurs. C’est avec ce soutien massif des spectateurs que Wishbone Ash termine provisoirement sa visite à « Argus » -quand même quatre titres- avec un « Sometimes World » d’anthologie, incluant là encore quelques évolutions par rapport à l’original.

Après « Argus », le groupe va revisiter une partie de « Wishbone Four », qui se retrouve aussi quinquagénaire cette année. Cette fois est la bonne : Mark Abrahams peut remettre la lap-steeel sur le devant de la scène ! Andy nous parle d’un titre écrit au Texas pour introduire une remarquable version de « Rock’n’roll Widow » qui permet à Mark Abrahams de briller de mille feux avec des parties de lap-steel très proches de celles de l’enregistrement studio. Puisque la présentation des titres est visiblement son rôle exclusif, Andy nous évoque ensuite un titre festif pour faire se lever les verres qui lui rappelle les Fêtes de la Bière germaniques et entame « Ballad of the Beacon ». J’avoue que je n’avais jamais envisagé ainsi cette ballade ternaire et musclée en forme de valse qui reflète les inspirations folk du groupe… Là encore, Andy et Bob profitent des évolutions données aux morceaux et arrivent à éviter les pièges des parties vocales les plus aiguës -n’est pas Martin Turner qui veut- pour rendre une copie proche de la perfection.

Les premières notes du morceau suivant nous indiquent que l’on a (provisoirement) quitté l’hommage à « Live dates » pour se lancer dans un formidable « Standing In The Rain » tiré de l’excellent « Strange Affair » paru en 1991. Il semble que c’était hier, mais ça a plus de trente ans ! En tous cas, la version punchy de ce titre qui n’a à mes oreilles pas pris une ride maintient la prestation du groupe à un haut niveau avant un autre morceau de bravoure. Dès les premières notes, le public réagit, puis se fige pour ouvrir toutes ses oreilles au joyau qui a participé à l’explosion du rock progressif et qui a si bien traversé les décennies (enregistré en septembre 1970, le morceau est sorti en décembre de la même année sur le premier album du groupe : « Wishbone Ash ») . Hymne à la renaissance sorti tout droit d’un roman d’anticipation, « Phoenix » est une sorte de vaisseau spatial de plus d’un quart d’heure en public qui traverse l’espace-temps en emmenant avec lui une assistance envoûtée, alternant les parties planantes et les parties plus animées martelées par des guitares à la tierce endiablées comme des sorcières en plein sabbat. Ce soir, le décollage a été parfaitement réussi, le « petit dernier », le batteur Mike Truscott montrant toute l’étendue de son talent alliant énergie avec une vraie finesse technique. Le groupe a réussi à propulser son audience en orbite avec une fois de plus une version remaniée pendant laquelle Andy change de Flying, reprenant la Case en plein morceau. On en sort un peu sonné en continuant à planer bien après la fin du morceau et le départ de la scène des musiciens.
Le public en totale communion avec la musique insiste pour en avoir plus et réclame avec énergie une dose supplémentaire de sa drogue légale. Pas possible de s’arrêter là !

Après quelques minutes de chahut intense, des musiciens visiblement très heureux reviennent sur scène, et Andy se lance dans la célèbre intro à base de décalages du doigté de l’accord de Ré majeur qui caractérise « Blowin’ Free ». Très entraînant, ce titre bien rock’n’roll est aussi issu d’« Argus » et sert en général à une débauche guitaristique où les guitaristes se renvoient la balle pendant que la rythmique en mode implacable martèle derrière. Et ce soir encore ça ne rate pas, le titre devient un vrai missile sonore où on sent le plaisir du groupe à jouer sa musique. Her hair was golden brown, blowin’ free like the cornfields… Le passage hors-tempo parfaitement négocié offre une pause illusoire tout en maîtrise et permet de mettre le feu à la fusée des soli. La salle se déchaîne. Vont-ils s’arrêter là ? Que nenni ! Tout de suite Andy remet le couvert, comme il y a cinquante ans, et offre au public la même conclusion que sur le double live originel en démarrant cette autre torpille qu’est « Jailbait », en version « rénovée » elle aussi par rapport au titre paru en 1971 sur l’album « Pilgrimage ». I wonder why you’re always on my mind… On peut poser la question, car après ce fantastique rappel à l’issue duquel les musiciens sont venus saluer de longues minutes sous les acclamations, certaines personnes du public ne sont visiblement pas redescendues de cette intense expérience et entendent toujours trotter dans leur tête des notes de musiques échappées de cette magnifique soirée.

Au cours des années et malgré les changements de personnel, Wishbone Ash a su intégrer d’excellents titres plus récents à ceux de son glorieux passé, qu’il a su continuer à faire évoluer en douceur, sans renier leur essence, réussissant un amalgame harmonieux et terriblement efficace sur scène. Si le groupe ne passe pas trop loin de chez vous, n’hésitez surtout pas : un jeune fan capable de chanter les paroles sur tous les titres, les anciens comme les récents, a amené en ce soir magique quelques potes qui ne connaissaient absolument pas le groupe. Ils sont repartis complètement conquis par la qualité du répertoire et de la prestation. Si vous ne connaissiez pas Wishbone Ash, allez découvrir le groupe et sa musique : ça vaut le coup !

Petit à petit, les spectateurs quittent à regret une salle où les lumières sont revenues, mais les plus patients, une demi-douzaine, pourront voir revenir un Mark Abrahams très coopératif et absolument ravi de rencontrer son public et un Bob Skeat très affable, expliquant entre autres qu’Andy étant retenu en coulisse par des obligations avec des invités, il ne pourra malheureusement pas venir lui aussi discuter. C’est aujourd’hui la loi du marketing et de la communication à outrance. On peut le regretter, car le leader du groupe semblait visiblement d’humeur à échanger avec son public, mais les deux représentants qui sont venus en toute simplicité rencontrer les spectateurs ont offert une belle image de Wishbone Ash. Une bien belle soirée, vraiment !

Y. Philippot-Degand
Photographies : Laurence Degand-Philippot


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